Sunday, November 9, 2008

XIV - Les faucilles noires d'Aïn-el-Mraïsseh.




















































Le soleil de Janvier brille à pleins feux au zénith d’un firmament presque douloureux à force de bleu et de clarté. .

Un soleil à faire perpétrer son acte absurde à ‘’l’étranger’’ Meursault ; et le jeune Mauresque de mordre une fois de plus le sable doré de la plage illuminée…

Mais sur la ville, une bise Sibérienne fouette les places et les gens d’un frimas sec et cruel.

A la TV, de vénérables Nestor se souviennent que Beyrouth n’avait plus enduré pareille froidure depuis 1920.

Et comme par hasard, le prix de la tonne de fuel-oil à frisé depuis le début de cet hiver la barre des $ : 800, à laquelle est venue s’ajouter la pénurie chronique en électricité. Et les chaudières de la plupart des demeures Libanaises demeurèrent éteintes, couvertes d’un linceul glacial fait de misère et d’oubli que rien ne vient troubler sinon parfois la méchante toux d’un enfant malade.

Profitant d’une petite éclaircie au milieu d’un emploi de temps particulièrement chargé, je me décidais donc de déserter mes lieux de travail en cette radieuse et glaciale matinée de Janvier pour effectuer mon pèlerinage longtemps délaissé vers la Méditerranée d’Aïn-el-Mraïsseh, avec la pleine conscience que les risques de voir mon parcours coïncider avec le passage d’un personnage sur lequel la mort avait déjà en ce jour-là jeté son dévolu, étaient sérieuses, réelles et bien présentes.

Quitter le havre relatif de son environnement immédiat pour s’aventurer dans les rues de sa ville est devenu pour le Beyrouthin une sorte de jeu de roulette Russe, un défi quotidien au destin et une tombola de la mort.

On à beau faire le bravache et afficher un stoïcisme à toute épreuve, la pensée de l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête continue à faire ses ravages silencieux dans les ténèbres de l’inconscient.

Aussi, l’idée d’être détenteur d’un passeport jadis prestigieux et respecté, et qui équivaut aujourd’hui dans la bourse des postes de vérification aux aéroports mondiaux, à la valeur d’un papier hygiénique…utilisé.

Etre devenu une sorte de paria international, pour des raisons semblables à celles qui firent de tout enfant qui voit le jour, un coupable marqué au front du sceau du ‘’péché originel’’…

ولك يا ابراهيم ليش بتضلّك حامل السلّم بالعرض؟

C’est ainsi que certains de mes bons amis, sincèrement inquiets de me voir me faire autant de mauvais sang pour rien, m’adressent.

Sans mettre aucunement en cause leur sincérité ou leur attachement à leur terre natale, je réponds invariablement par la réplique magistrale adressée par Richard Widmark, en différend majeur avec Laurence Harvey dans une scène du super navet Hollywoodien de John Wayne, ‘’The Alamo’’ :

_ ‘’Let it go Will… You are what you are, and I am what I am - And we both can’t help it.’’

Un hommage de plus au grand Luis Buñuel qui affirmait que dans chaque navet, il y a toujours quelques instants de merveilleux.

* * * *

Depuis la vaste arnaque qui le vit passer du statut de place publique et historique à celui de propriété privée d’une seule famille Libanaise (et quelques milliardaires Bédouins), la traversée du centre-ville de Beyrouth est devenue pour mes nerfs une épreuve à la limite du supportable.

Mais ayant aujourd’hui décidé de ne point laisser le souvenir du Grand Martyr qui repose désormais dans les entrailles de sa terre usurpée me troubler la sérénité, je m’efforçais de penser à quelque chose de plus rigolo ; en l’occurrence à « l’initiative Arabe » accourue à notre secours après ‘’l’échec’’ de ses précédentes Française et Américaine. .

Hahahahahahahahahahaah !

C’est plus fort que moi ; mais comment oublier le mutisme gêné de ces salopards au conseil de sécurité, lorsque le Liban croulait sous le feu Israélien en 2006.
Ou la lâcheté et l’hypocrisie de leurs émissaires venus nous ‘’soutenir’’ pour quelques heures le 7 Août de la même année, et leur seul souci de déguerpir au triple galop avant l’écoulement de l’ultimatum que l’état Hébreu leur avait fixé pour 6 PM tapantes du même jour.

Qu’attendre de l’Egypte qui continue à ignorer ce qui se passe sur ses frontières immédiates ; des carnages de Gaza et du désastre du Darfour ?
Ou des Wahhabites et autres Emirats en carton-pâte qui servirent de base de départ à l'armada Américano-Sioniste pour l’annihilation de l’Iraq, et qui demeurèrent par la suite aveugles, sourds et muets devant le spectacle d’un million d’Iraquiens froidement massacrés ?

Alors comme ça يا اسياد , on ambitionne maintenant de résoudre le dilemme Libanais ?

Rien que cela ?

حيّاك الله يا خوي و مشكور يا شهم
بسّ قبل ما تساعدني ت خلّص من خازوقي
بلّش بالاْول شيل اللي فايت بطيزك


* * * *

Aïn-el-Mraïsseh est en plein remue-ménage ces jours-ci, les bancs de pierre ont étés (temporairement j’espère) enlevés pour faciliter les travaux de renouvellement du carrelage dont la large chaussée en avait grand besoin.

Moins heureuse était la nouvelle balustrade massive en aluminium brillant dans le plus pur style des chaînes Américaines de fast-food qui borde maintenant la côte, lui conférant des airs de Disneyland-sur-Méditerranée.

Mais c’est le spectacle extraordinaire des nouveaux réverbères adhérant directement à cette balustrade face à la mer et qui partent d’Aïn-el-Mraïsseh jusqu’à Ramlet-el-Baïda qui me laissa pantois.

Une forêt métallique faite de poteaux noirs et massifs terminés par de longues lames recourbées semblables à la faux d'Azraël l'ange de la mort, se déroule à perte de vue devant mes yeux incrédules.

Tels notre aéroport international (jadis un des plus élégants au monde) que des ânes analphabètes transformèrent en un sinistre et coûteux mausolée de granite froid et asphyxiant, les lames noires des faucilles de la néo-culture Wahhabite du New Hariristan écorchent désormais la face radieuse et ancestrale de la Méditerranée d’Aïn-el-Mraïsseh.

Trois images accompagnent ce texte.

Dans l’image (1), il n’est pas nécessaire au lecteur d’être un paysagiste qualifié pour mesurer l’ampleur du désastre.

Dans l’image (2), la célèbre ‘’Promenade des Anglais’’ à Nice sur la côte d’azur est une preuve éloquente que simplicité fait beauté.
Remarquez l'emplacement judicieux loin de la côte des réverbères, et la balustrade réduite à son expression la plus simple dans le but d'entraver le moins possible la vue dégagée sur la mer.

Dans l’image (3) on voit la sinistre faux se profiler en premier plan devant la bâtisse kitch du restaurant élevé sur les ruines de l’ancien café d'Aïn-el-Mraïsseh où nous dégustâmes durant cet été, mon vieil ami BeO et moi, des Rougets frits ma foi assez surprenants, lors de son dernier passage au Liban.

Durant cette joyeuse entrevue, BeO me surprit agréablement en me faisant cadeau du CD de la superbe version d’Herbert Von Karajan du Requiem (Diabolique) de Mozart, qu’il avait eu la délicatesse (rareté chez BeO) de me rapporter de Paris.

A mon tour je lui remis une copie du manuscrit encore non publié de L'Ange Déchu pour qu’il le lise à ses moments perdus.

Le soir même, BeO me contacta :

_ Pas mal ton truc, me dit-il – cependant le point le plus important de ton récit demeure non éclairci…

Je sentais venir la giclée d’humour féroce dont j’étais si familier ; et elle vint.

_ Finalement l’as-tu bel et bien baisé(e), OUI ou NON ?

Ibrahim Tyan.

* * * *

BeO, qui but jusqu’à la lie à la splendeur disparue de la Métropole du Levant et s’est ensoleillé le cœur et le corps à l’or bleu de la Mère Ancestrale, vient de résumer aujourd’hui toute l’affaire en ces quelques lignes magistrales:


Il est l'un des rares dont l'amitié s'est bonifiée avec l'âge
Beyrouth était notre paradis et notre seul point d'ancrage
Royaume de nos frasques et de nos équipées sauvages
Au souvenir desquelles se poursuit encore notre mirage
Hédoniste que rien n'arrêtera, ni le temps, ni ses ravages.
Inutile d'expliquer le culte qu'avec toi, cher ami, je partage
Mare Nostrum gardera à jamais le secret de notre passage.

BeO


Ces vers dont l'auteur honora ''lettres du Liban'' en date du lundi 21 janvier 2008, sont reproduites avec émotion et fierté sur ce blog, en hommage à l'excellence, la sincérité et l'amitié.

Ibrahim.

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