Monday, November 10, 2008

XIII - Novembre à Beyrouth.
















Novembre à Beyrouth fait partie de ces cadeaux merveilleux que Mère-Nature accorde bénévolement à tout Libanais, pourvu qu’il soit béni d’yeux pour voir, de sens pour sentir, et de la sagesse nécessaire pour savourer une telle aubaine, dans la gratitude et l’humilité.

Indifférent à nos imbécilités navrantes et nos égarements funestes, le soleil continue de filer une histoire d’amour immémoriale avec notre beau pays, aussi constante et immuable que mon acharnement à cliquer systématiquement l’icône ‘’Save’’ sur l’écran de mon PC après l’écriture de chaque ligne, histoire de conserver intacts les fruits de mes pensées, avant qu’une aussi soudaine que malencontreuse coupure d’électricité ne vienne les éparpiller dans les abysses du cyberespace.

Ainsi va la vie de ces Libanais, jugés quantité tellement négligeable par la compagnie d’Electricité du Liban, qu’elle n’a daigné en aucun jour leur établir le moindre programme intelligible pour le rationnement du courant ; de telle manière que l’électricité risque de leur être coupée à toute heure, pour une période indéterminée, et ceci en un nombre de fois inconnu au cours d’une même journée.

Inconscients de leurs droits vitaux les plus légitimes et les plus fondamentaux, les Libanais continuent de ‘’militer’’ pour des lubies et des chimères, sacrifiant le précieux pour le futile et l’irremplaçable pour l’inutile, la vain, et la poursuite de vent.

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et quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre

Cette sinistre phrase tirée du célèbre roman ‘’Gothique’’ du XIXème d’Abraham (Bram) Stoker : ‘’Dracula’’, me revint soudainement alors que je passais en cette radieuse matinée de Novembre la place des Martyrs allant vers Bab-Idriss, avec pour destination finale le ciel, le soleil, et la Méditerranée d’Aïn-el-Mraïsseh.

Après le brouhaha de Dora, les embouteillages de Bourj-Hammoud et les quartiers denses de Mar Mikhael, le vide et le silence de la place des Martyrs avaient de quoi jeter dans l’âme un trouble indéfinissable.

Cela faisait bien deux bons mois que je ne m’étais aventuré en ces parages, et le changement qui y était advenu durant cette courte période n’en paraissait que plus flagrant.

Devant l’immeuble de la municipalité de Beyrouth, une double rangée protectrice de blocs en béton s’étalant presque jusqu’à Bab-Idriss avait fait son apparition, ainsi que des fils barbelés à l’embouchure de la rue des Banques et celle de Maarad. A ma gauche, les nouveaux cafés-trottoir du ‘’Downtown’’ étaient presque tous fermés, et ceux plus rares à ma droite affichaient des tables quasi vides. Partout n’étaient que véhicules militaires, bandes jaunes d’interdiction et patrouilles armées.

Mais ce qui me frappa le plus au fur et à mesure que j’avançais, était l’absence notable de vie en ces parages sensés abriter le cœur battant de la nouvelle élite Libanaise. Les passants y étaient rares, la circulation presque nulle, et ce silence insolite en beau milieu de semaine, semblable à celui d’une paresseuse matinée du Dimanche ; la sérénité en moins…

Arrivé au croisement de chemins où se tenait la ruine calcinée de ce qui fut jadis le ‘’Holiday Inn’’, je jetais un coup d’œil à travers la route qui descendait vers la mer et le ‘’Phœnicia’’,ce nouvel Alcatraz a cinq étoiles où se trouvaient séquestrés derrière une nouvelle forêt de béton et barbelés, de véhicules blindés et de sentinelles équipées comme pour la reconquête de Jérusalem, une quarantaine de repris de justice, logés et nourris aux frais du contribuable Libanais.

Une mouche bleue n’y aurait pas passé ; mais les prostituées de luxe aux dernières heures de la nuit étaient une autre affaire…

Je continuais donc mon petit bonhomme de chemin, ricanant sous cape de cet étalage d’arsenal ultramoderne et de guerriers farouches dont la bravoure devant l’ennemi était demeurée légendaire lors de la désormais illustre ‘’Marjeeyoun tea party’’ de 2006.

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Depuis le départ de mon cher Abou Ragheb parti pour le pays des Kangourous¹, et la fermeture définitive de son kiosque par son neveu Moussa qui ne fit pas long feu après lui, je prenais mon café à Aïn-el-Mraïsseh un peu au hasard, là où j’en trouvais.

Dernièrement, j’avais jeté mon dévolu sur une demi douzaine de cafés sommaires qui bordaient des deux côtés la rue qui menait au ‘’Hard Rock Café’’. Telle fut ma surprise de retrouver cette artère d’habitude grouillante de trafic et de monde, aujourd’hui fermée, vide et morne, écrasée par un silence lourd et oppressant.

Je finis par dénicher un café à moitié ouvert, dont les sièges empilés dans un recoin, m’apprirent que j’étais arrivé in extremis alors qu’il n’était que 4 heures de l’après-midi.

Boire une longue rasade d’eau fraîche à même le goulot après des heures de soif et de soleil, siffler une première gorgée de café tout chaud et tirer une première bouffée de cigarette, sont des petites joies que ne dédaigne aucunement l’épicurien aguerri qui à expérimenté les plaisirs les plus raffinés que l’existence puisse offrir ; et le banc de pierre face à la Méditerranée qui accueillit sans broncher mes vieux os fatigués était une place de choix que je n'aurais troqué contre un siège au paradis même.

Le paradis c’est quoi au fait, sinon ces rares et précieux moments furtifs de félicité complète où l’on oublie tout pour ne penser plus à rien, sauf à se gaver de beauté, d’extase et de bonheur.

Un coucher de soleil grandiose dans un ciel de Novembre pur comme du cristal sur une mer douce et calme comme l’éternité.

Mais les nuits tombent brusquement en cette saison, sans prévenir. C’est ainsi qu’après le bain de jouvence fait d’or et de lumière qui me raviva le corps et me purifia l’esprit, l’ombre gagna furtivement la place et l’air frisquet de la nuit me rappela qu’il était temps d’enfiler le coupe-vent noué autour de ma taille.

C’est alors que je découvris que j’étais pratiquement seul sur mon banc de pierre au milieu de cette longue avenue déserte et obscure où l’on n’entendait que le chuintement des vagues désormais invisibles, dans une ville qui avait peur.

Une scène me revint alors d’un documentaire extraordinaire tourné par le grand Luis Buñuel et intitulé : « Las Hurdes, tierra sin pan » (Terre sans pain) où l’on voit un enfant traversant une rue déserte traînant derrière lui un linceul blanc…

Lentement, je rebroussais chemin vers le parking de l’hôtel Vendôme où je pouvais encore me trouver un taxi qui me ramènerait chez moi.

Ibrahim Tyan.

¹) Voir : Allah ma’ak ya Hajj et bon vent.

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