Monday, November 17, 2008

VI - Les assassins de la mémoire.




















Récemment,J’ai été dîner avec des amis, dans un vieux restaurant situé dans la bourgade romantique du Hoboken de New Jersey, sur la rive ouest de l’Hudson, face à Manhattan.

Entre les huitres vapeur et le homard au beurre-citron, arrosés d’un blanc sec Californien ma foi assez surprenant, je contemplais l’ancien portrait dédicacé de Sinclair Lewis sur les lambris en vieux chêne du mur d’en face qui me toisait du haut de sa morgue toute en sépia, en me remémorant une de ses citations qui m’était restée : « Lorsque le fascisme atteindra l’Amérique, il viendra drapé de la bannière étoilée, et brandirait de sa main une croix ».

Savez-vous Abe que vous êtes assis sur ce qui était le siège favori de ''Bogie'' ? (Humphrey Bogart), me lança jovialement mon ami Américain, me ramenant brusquement à la réalité.

A cela, le maitre d’hôtel affable qui nous servait rétorqua en s’adressant à ma femme : Et vous Ma’am sur celui de Lauren Bacall.

Le meilleur était que tout cela s’avéra rigoureusement authentique.

* * * *

Une des preuves d’être un cinéphile averti est peut-être le fait de n’avoir pratiquement plus mis les pieds dans une salle de cinéma depuis au moins quinze ans. Or, il est une pensée exprimée par mon très vénéré Luis Buñuel qui dit que même dans le plus pitoyable des navets, il existe toujours quelques secondes de sublime. Théorie dont j’eus souvent l’occasion d’en vérifier la justesse.

Une idiotie Hollywoodienne a succès tournée en 1973 et intitulée : The Exorcist, en est un exemple frappant.

Dans une scène vers la fin du film, le révérend Merrin, vieux prêtre Catholique, (interprété par l’excellent Max Von Sydow), exorciseur de sa spécialité et gravement malade, reçoit alors qu’il effectuait péniblement sa promenade quotidienne dans un bois environnant, un câble de son évêque le réclamant de toute urgence.

Vint alors la scène sublime qui dure moins de dix secondes et rachète à elle seule, les deux heures d’inepties qui constituent le film.

Après avoir ôté ses lunettes et remis le message dans sa poche, le prêtre filmé du dos, continue sa promenade dans le bois. Un plan moyen furtif nous le montre en quart de profil, observant la nature radieuse autour de lui dans une sorte d’adieu silencieux, comme s’il était conscient de la nature du combat qui l’attendait, et qu’il n’y survivrait pas quelle qu’en serait l’issue.

C’est donc un peu à la manière du révérend Merrin que je regardais mon Beyrouth défiler sous mes yeux en cette resplendissante journée de Mai.

Adieu mon Beyrouth adoré, tu as combattu toute la nuit comme la chèvre blanche d’Alphonse Daudet mais déjà pointe l'aube et avec elle, les flammes du soleil Satanique d’Al Qaeda…

Et mes sens que j’affûtais de toutes mes forces essayaient de capturer le maximum d’images, de sons et d’odeurs de cette ville qui m’était devenue à moitié étrangère depuis que la guerre me l’a défigurée et que les tracteurs cannibales de SOLIDERE ont achevé de me la métamorphoser en un amas de bâtisses sans âme, de places vides et de quartiers artificiels et figés.

Momifiés comme ce Liban a la fois monstrueux et pitoyable, semblable à la créature du Dr. Frankenstein qu’ils ont créé à partir de leur rapacité et de leurs chimères.

Le rappel d’un souvenir est un phénomène élaboré. L’activation des souvenirs, (volontaire ou non), fait souvent appel à des facteurs externes (objets, endroits, personnes, etc.), qui vont travailler grâce aux indices de l’encodage dans l’inconscient, pour rendre un souvenir facile à retrouver.

Voila pourquoi je ne pourrais finalement emporter avec moi que les images du soleil, de la lune, et de la mer d’Aïn-el-Mraïsseh ; mes autres souvenirs de jeunesse, mes places, mes jardins, mes rues et mes gens, ayant disparu depuis si longtemps que j’en suis heureux d’avoir écrit « Ombres et visages » avant que leurs images ne s’estompent à jamais de ma mémoire.

This is the end, beautiful friend
This is the end, my only friend
The end of our elaborate plans
The end of ev’rything that stands
The end


Jim Morrison.

* * * *

Lorsque Moussa m’apporta mon café, il y avait quelque chose d’incertain dans son attitude. Enfin il se décida :

- Oustaz, que pensez-vous de la situation actuelle ? me lança-t-il sur un ton qui se voulait anodin.

Je lui souris sans plus, ce qui acheva de le décontenancer.

- As-tu des nouvelles du Hajj ? Lui demandais-je.

- Il vient de téléphoner il y a deux jours, il va très bien.

Puis prenant son courage à deux mains il se décida.

- Excusez-moi ya oustaz, mais seriez-vous Sayyed Ibrahim par hasard ?

Pourquoi donc cette question ne m’a laissé qu’à moitié étonné ?

A mon acquiescement, Moussa rentra dans le petit kiosque et en ressortit avec un objet minuscule qu’il me remit.

- Le Hajj nous as communiqués votre nom ainsi que votre signalement lors de son dernier coup de fil et nous as demandés de vous remettre ceci.

Je regardais l’objet, maintenant dans ma paume ouverte.

C’était un mince petit livret d’à peine 5×5 cm. Qui avait pour titre ‘ Al Housn al Hassin ‘ littéralement : « la forteresse imprenable ».

Dedans étaient inscrits les quatre-vingt-dix-neuf noms sacrés d'Allah ainsi que des extraits du Coran, traditionnellement supposés porter chance et exorciser le malheur.

La voix de Moussa me parvint comme à travers un écran d’ouate.

- Le Hajj m’a chargé de vous dire que c’était pour conjurer IBLISS…il à dit que vous comprendriez…

- Le mille fois damné, m’entendis-je murmurer d’une voix sourde.

A cela Moussa me fit écho avec grande conviction.

- Le dix-mille fois damné !

Ibrahim Tyan.

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